Reconnaissance d’intérêt public.

Le 26 septembre 2021, la population neuchâteloise a rejeté la Loi sur la reconnaissance d’intérêt public des communautés religieuses. La presse locale avait évoqué à plusieurs reprises que l’Église mennonite évangélique les Bulles n’envisageait pas de déposer une demande de reconnaissance au cas où cette loi était acceptée par la population de notre canton.

Les raisons qui nous conduisent à ne pas rechercher une reconnaissance formelle par l’État avaient déjà été énoncées par les membres de notre pastorale en 2017 et nous les reformulons ici :

  1. La première raison est d’ordre historique et théologique ; elle repose sur une expérience chrétienne séculaire. Jésus est mort sur la Croix en raison d’une conjonction des forces politiques et religieuses. Cette même conjonction de forces a produit les persécutions de chrétiens tout au long de l’Histoire. En tant qu’Église issue de la tradition anabaptiste, nous avons un peu de recul sur cette question. Si nous sommes aujourd’hui reconnaissants pour les libertés dont nous jouissons en Suisse, nous pensons que les pouvoirs temporels peuvent en tout temps et pour n’importe quelle raison chercher à exercer une emprise sur l’Église. C’est pourquoi, il nous semble important de préserver notre indépendance, ce qui ne nous empêche pas de nous engager malgré tout dans la société et de contribuer au « bien de la Cité ».

  2. La seconde raison tient à la différenciation des rôles de l’État et de l’Église. Sur le plan institutionnel, l’État (par sa Constitution) et l’Église (définie au niveau du droit associatif) sont des corps sociaux de nature semblable. Le propre de l’État est d’assurer une régulation de ce qui est, tout en demeurant attentif à ce qui pourrait advenir (crises économique, écologique, sanitaire, etc.). À l’inverse, l’Église revêt un rôle davantage prophétique : elle a vocation de témoigner d’un autre ordre social, un ordre nouveau. À cet égard, un concordat implique un partenariat qui pourrait se révéler trop limitatif de notre liberté ecclésiale. Rendre compte d’un ordre nouveau dans le monde présent, appeler à la justice, se fait plus librement en préservant une indépendance aussi grande que possible. Le droit associatif nous offre une base de reconnaissance suffisante ; exiger davantage reviendrait à rogner le statut d’Église « libre ».

  3. La troisième raison est liée à la perception publique du religieux et à une dilution de la spécificité du christianisme face aux autres religions. L’article 99 de la Constitution neuchâteloise stipule que d’autres communautés religieuses – sous-entendu en plus des Églises déjà reconnues – peuvent demander à être reconnues d’intérêt public. Nous ne contestons pas à l’État laïc le droit de définir une catégorie générique pour y ordonner les communautés religieuses et y définir son rapport avec celles-ci. Toutefois, nous pensons qu’un tel amalgame n’est pas neutre et contribue à entretenir aux yeux de la société une confusion déjà bien établie, à savoir l’équivalence de la foi chrétienne avec les autres religions. Demander la reconnaissance signifie accepter les catégories proposées par l’État et cautionner cette équivalence. En disant cela, nous ne récusons pas la dimension religieuse de la foi chrétienne, mais nous croyons que la Bonne Nouvelle du Christ ressuscité ne se laisse en aucune manière réduire ou limiter au concept de religion.

  4. La dernière raison découle de notre lecture des temps de l’Église et de l’observation de l’évolution du rapport entre la société et les Églises chrétiennes. Nous pensons que l’ère de la chrétienté arrive progressivement à son terme et que les Églises se retrouvent de plus en plus en marge, sans plus être ni honorées, ni favorisées par la société. Entrer en postchrétienté est une expérience déroutante pour beaucoup de chrétiennes et de chrétiens, mais nous croyons que cette nouvelle situation comporte aussi une chance de ramener le Christ depuis la marge où on l’a souvent confiné, vers le centre. Dans ce sens, s’engager dans une démarche de reconnaissance pour obtenir un statut similaire à celui des Églises reconnues, alors même que la société est de plus en plus indifférente à ces Églises, nous semble relever d’une vision anachronique.

Notre position n’a rien à voir avec une attitude de retrait de la société, comme on l’a parfois reprochée aux anabaptistes du Jura. Nous sommes convaincus que partout où il y a des humains, les chrétiennes et les chrétiens sont appelés à s’investir dans leurs œuvres, à s’engager à leur côté pour être « sel de la terre » et « lumière du monde ».

Il n’est pas non plus exact d’affirmer (ArcInfo, 11.09.2021) que les mennonites « ne souhaitent avoir aucun lien avec l’État ». Comme citoyennes et citoyens, biens des membres des Églises mennonites de l’Arc jurassien sont engagés activement dans la fonction publique et dans les organes législatifs ou exécutifs communaux, cantonaux, voire fédéraux.

Au cours des dernières années, les mennonites de Suisse ont par ailleurs eu l’occasion d’entrer en dialogue et de vivre des manifestations de réconciliation historiques avec des autorités communales et cantonales, sur le plan ecclésial et politique. Les déclarations publiques faîtes lors de ces manifestations expriment pour nous aussi une forme de reconnaissance de qui nous sommes et ce que nous représentons.

Malgré cette prise de position, les membres de la pastorale de l’Église mennonite des Bulles ne sont pas opposés à la Loi sur la reconnaissance des communautés religieuses, une loi souhaitée par la majorité des Églises avec lesquelles nous collaborons au sein de la Fédération évangélique neuchâteloise et du Réseau évangélique de La Chaux-de-Fonds. C’est pourquoi nous recommandons à nos membres d’accepter cette loi.